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MULLER – Frères

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"C’est en copiant qu’on invente"[1]

 

À la suite du Traité de Francfort et de l’annexion de l’Alsace-Moselle, la famille Muller quitte sa ville d’origine de Kalhausen pour s’installer à Lunéville en 1870. Devenus Lorrains, les ainés de la fratrie, Henri et Désiré, apprennent la verrerie auprès des cristalleries de Saint Louis et Meisenthal avant de rejoindre l’entreprise d’Émile Gallé en 1893. Après quatre années auprès du maître nancéien comme décorateurs-graveurs, les deux frères le quitte en 1897 pour créer leur propre atelier[2] : Muller et Cie, verrerie d'Art de Croismare.

Si rien ne permet d’attester qu’Henri Muller emporta avec lui des secrets de fabrications de Gallé, l’histoire raconte qu’un collectionneur et ami du maître lui écrivit en 1899 avoir confondu des verreries signées "Muller à Croismare" avec les siennes. Gallé, qui conservait visiblement une rancune vis-à-vis des Muller lui répondit[3] : "Le misérable qui mène la bande a dû prendre dans mes livres une masse de notes et de même mes recettes, pourtant sous clef".Tenus pour plagiaires, les Frères Muller seront exclus de l'Alliance Provinciale des Industries d'Art (ou Association École de Nancy).

Rapidement, les productions de Muller - Croismare concurrencent celles de Gallé et Daum. Inspirés par l’esthétique naturaliste de l’Art Nouveau et les productions de l’Ecole de Nancy, les frères Muller produisent des verreries décorées de gravure camée sous toutes ses formes, et parfois d’émaillage. Ils développent même, entre 1905 et 1908, une technique spécifique de décoration du verre : la fluogravure. Associant émaillage et gravure à l’acide fluorhydrique, elle permet d’obtenir un résultat différent de la gravure sur verre multicouche avec une matière opaque et non plus transparente, aux couleurs vives et non réfléchissantes. Proche d’une peinture dans son rendu, la technique comprends parfois jusqu’à 7 couches finement gravées, offrant une perspective inégalée à des pièces qui deviennent de véritables tableaux de verre.

Fort de leurs premiers succès commerciaux et critiques, Henri et Désiré ouvrent en 1908 avec leur frère Eugène de nouveaux ateliers et initient une production semi-industrielle. Exposant régulièrement au sein des grandes expositions, ils reçoivent notamment une médaille d'argent à l'Exposition Internationale de Turin en 1911 et une médaille d'or à l'Exposition de Lyon en 1914. La Première Guerre Mondiale met en pause leur activité de 1914 à 1919, date à laquelle Henri et Désiré Muller restaurent et modernisent leur usine. Ils créent alors la nouvelle société "Verrerie d'Art Muller Frères" pour donner une raison sociale à l’activité de taille et gravure. En mémoire d’Eugène, décédé durant la Grande Guerre, les pièces seront désormais signées "Muller Frères Lunéville ".

En 1925 les verreries Muller emploient près de 350 personnes pour honorer leurs nombreuses commandes et reçoivent des récompenses lors de l’Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes de Paris. 

Jusqu’en 1927, les Muller investissent avec succès l’esthétique Art Déco au grès d’une gamme en verre pressé-moulé qu’ils distribuent à Paris et Berlin dans leurs nouveaux dépôts-vente ou en rejoignant le catalogue Primavera (l’atelier d’art du magasin Le Printemps). Ils produisent également entre 1925 et 1930 de superbes lampes en formes d’animaux, réalisées avec le ferronnier d’art nancéien Chapelle.

Ces efforts sont cependant réduits à néant par la crise économique de 1929. Au sommet de leur art, les frères Muller sont durement touchés et leurs exportations vers les Etats-Unis, le Moyen-Orient et les colonies françaises s'arrêtent net. Ils souffrent également de la concurrence de la verrerie "La Belle Etoile" que la maison Daum a basée à Croismare depuis 1925 et qui attire la clientèle tout en débauchant certains ouvriers des Muller.

En 1932 les affaires des Frères Muller dans le creux de la vague en faisant chuter le chiffre d’affaires de moitié La famille Muller est contrainte de fermer les dépôts de Paris et Berlin, puis de renoncer à son entreprise, dont la liquidation judiciaire est prononcée le 19 décembre 1935 et le dépôt de bilan en octobre 1936.

 


[1] Paul Valéry in Mauvaises pensées et autres, 1941.

[2] C’est la signature "Muller Frères" et le fait que les 11 membres de la fratrie étaient verriers et collaborèrent épisodiquement à l’entreprise qui entretient l’impression erronée d’un conglomérat familial.

[3] dans une lettre citée in P. Olland, Dictionnaire des maîtres verriers, marques et signatures, Dijon, 2016, page 227.

 

Oeuvres de MULLER - Frères 

La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres des verreres Muller-Frères. Florian Douceron, clerc spécialiste du département département Arts Décoratifs du XXe siècle, vous décrypte une œuvre phare de l'artiste, adjugée 20 000 euros lors de la vente aux enchères "Masters" organisée par le département Arts Décoratifs du XXe siècle :

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En 1916, les ateliers et le magasin nancéiens de Louis Majorelle sont détruits et il se rend alors à Paris pour y reprendre le travail du métal. Ce "retour au fer" aboutit après l’Armistice de 1918 à une nouvelle manière développée en collaboration avec Antonin Daum, qui consiste à souffler directement le verre dans une résille de métal dont il sera inséparable une fois refroidi. La technique est d’une grande complexité car les différences physiques et plastiques du métal et du verre imposent une maîtrise extraordinaire des artisans qui entendent les marier. En effet, les coefficients de dilatations et les vitesses de refroidissement du verre et de l’acier sont très différentes et le risque est grand de voir la résille de métal briser le verre ou que la matière vitreuse fige trop lentement et rende la pièce informe.

Cette complexité ne fait pas peur aux Frères Muller, verriers et entrepreneurs avertis qui reprendront à leur compte cette idée de combiner les deux matières nées du feu. Rapidement, ils dépasseront même les initiateurs par leurs formes animalières complexes réalisées avec le ferronnier d’art nancéien Chapelle entre 1925 et 1930. Signée "Muller Frères Lunéville Chapelle", cette ménagerie de verre et d’acier comprend 14 espèces[1]. Chacun de ces animaux est obtenue par le soufflage d’une pâte de verre dans une monture métallique en bronze ou en fer forgé. Comme souvent chez Muller, et pour ajouter encore au précieux de ces créations, le verre est par ailleurs décoré en intercalaire de poudres d’oxydes métalliques auxquelles s’ajoutent des feuilles d’or ou d’agent.

Avec ses rayures d’acier contrastant sur l’orange du verre emprisonné dans cette résille de métal, notre "Tigre" participe du bestiaire de Muller & Chapelle. S’il est absent de la liste connue des pièces commercialisées, tout porte à croire en l’état de nos connaissances qu’il s’agirait d’une pièce unique[2] :

"Il existe quelques pièces, uniques, figurant d’autres animaux comme par exemple le tigre. Sans doute s’agit-il d’essais qui n’ont jamais fait l’objet de production en série, si jamais ce terme peut s’appliquer aux Muller et Chapelle."

La question reste toutefois ouverte aussi nous reprendrons à titre de conclusion les interrogations adressées au grand féline par le poète anglais William Blake[3] :

"Tigre, Tigre ! ton éclair luit

Dans les forêts de la nuit,

Quelle main, quel œil immortel

Osèrent fabriquer ton effrayante symétrie ?".

 


[1] éléphant, singe, lion, escargot, tortue, chouette, faisan, pigeon, cigogne, coq, cacatoès, perroquet, paon et paonne.

[2] notamment selon Benoit Tallot dans son ouvrage de référence Les Frères Muller, Maîtres verriers à Lunéville, les éditions Serpenoise, 2007, page 112.

[3] traduite de son poème "The Tyger" ("Le Tigre") du recueil Songs of Experience publié en 1794.

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