Un Homme de la terre [1]
Architecte-ensemblier de formation, Henri Simmen cède cependant à sa passion pour la céramique et rejoint les cours du Conservatoire des Arts et Métiers. Il se forme ensuite auprès d’Edmond Lachenal, chez qui il puise son atavisme pour le travail du grès, avant d’ouvrir son propre atelier en 1910, aux fours des Hautes-Sommières à Meudon. La même année, il expose au Salon d’Automne sa production de grès vernis au sel, une technique alors déjà tombée en désuétude et dont il abandonne rapidement les harmonies d'ivoire, de noir et de brun pour réaliser des "flammés" au rouge de cuivre.
C’est sans doute autour de l’Exposition Universelle de 1910 qu’il fait la connaissance de celle qui deviendra son épouse : Eugénie Jubin-O’Kin, une jeune tabletière Franco-Japonaise. Exposant au Salon d’Automne depuis 1906, la jeune femme est déjà connue des critiques dont certains vantèrent « les ouvrages de Mlle O’Kin, cette charmante artiste japonaise qui s’est fixée chez nous et continue de travailler suivant les meilleures traditions de sa race » [2] [SIC]. Avec elle, Henri Simmen part pour un long voyage en Asie de 1919 à 1921 où il étudiera les grès Chinois, Coréens et Japonais, tandis que son épouse y affermira sa prédilection pour le travail de l’ivoire, influencée par l’Art Khmer et la gravure, plus familière, des netsukes japonais.
De retour en France, Simmen s'installe dans le Midi en 1923 pour produire ses grès aux fours de Mont-Redon, près de Marseille (tandis qu’Eugénie O’Kin collabore avec Ruhlmann pour qui elle réalise des plaques décoratives et poignées de meubles[3]). Durant cette période méridionale, la dernière de sa production, Henri Simmen revient à un travail purement artisanal. Le céramiste prépare ainsi lui-même ses terres, compose et broie ses poudres d’émail, et renonce au tournage pour modeler à la main ses vases en grès. Les formes de ses créations se font alors étonnantes, s’inspirant de la Nature et arborant des couvertes résolument monochromes inspirées des céramiques étudiées en Asie : blancs, céladons de fer et de cuivre, jaunes impériaux et flammés d'aventurine. De savantes recherches lui permettront même de retrouver les couvertes « sang de bœuf" des chinois ou "poil de lièvre" des Song et, à partir de 1928, un intense rouge tomate obtenu à partir de plaquemine.
Mais ses créations achèvent de prendre une dimension particulière en se trouvant couronnées par des accessoires qui viennent les sublimer : les bouchons, anneaux ou couvercles réalisés en bois précieux, corail ou ivoire par Eugénie Jubin-O’Kin .Témoins d’un aboutissement rare autant que spécificité de cette ultime période de production, ces apports de la tabletière sont les seuls "ornements" des pièces de son mari où l'importance est donnée à la forme et à la couleur en un rapport poétique à l’objet.
En 1937, Henri Simmen délaisse la céramique pour raison de santé et s'installe à Nice pour y finir sa vie aux côtés de son épouse (qui décèdera en 1948).
[1] Suivant le titre de son livre « Les Aphorismes d’un Homme de la Terre » qu’il publie en 1935.
[2] In Le Figaro du 24 décembre 1910, page 5, à l’article « La vie artistique : Expositions diverses ».
[3] Et notamment celles qui ornent l’ensemble mobilier « Chambre de Jeune Fille » présenté en 1924 dans la galerie de Ruhlmann au 27 rue de Lisbonne, dans le 8e arrondissement.
[4] Selon les termes de l’historien de l’art nippon Tsuji Nobuo dans son « Autoportrait de l’art japonais », Strasbourg, Editions Fleurs de parole, 2011.