"Les laques de Gaston Suisse inscrivent d’éblouissants paysages : c’est une fantasmagorie qui tient de la joaillerie et s’illumine des reflets les plus rares"[1]
Gaston Suisse né à Paris en 1896, dans un milieu où règnent les arts avec – notamment – un père bibliophile qui possédait une importante documentation sur les Arts Japonais et Chinois et qui lui donnera le goût de l’Extrême Orient. Fasciné par les fauves et les oiseaux exotiques du Jardin des Plantes, il y fait la rencontre de Paul Jouve avec qui il se lie d’une amitié profonde et durable. Le jeune dessinateur autodidacte intègre ensuite l’Ecole supérieure des Arts Décoratifs où il parfait son trait et s’initie et se passionne pour le métier qu’il fera sien : celui de laqueur. Il a à peine dix-huit ans quand il reçoit sa première médaille d’or[2] pour un travail dans cette technique qu’il portera vers les plus hauts sommets de raffinement et d’esthétique.
Mobilisé en 1914, le jeune homme connaîtra les tranchées à Verdun, avant de partir avec l'armée d'Orient vers Salonique où il retrouvera son ami Jouve, lui aussi mobilisé. La guerre terminée, il reprendra ses études à l’école des Arts Décoratifs en 1919 pour parfaire - entre autres - ses techniques de dorure et de chimie appliquée aux oxydes sur métaux, tout en continuant à expérimenter les possibilités de la laque dans son propre atelier. Pour financer ses recherches et sa formation, Gaston Suisse multiplie les menus travaux : dessiner des cartons de vitraux, travailler à la décoration du plafond des Galeries Lafayette ou même faire de la figuration à l’Opéra Garnier. Ce faisant et en 1922, le laqueur peut emménager dans un atelier parisien du 42 rue de Tolbiac, qui sera également son lieu de vie.
D’un caractère curieux, Gaston Suisse s’imprègne naturellement de l’effervescence artistique des Années Folles dont il fréquente Salons et manifestations. Ainsi de l’Exposition des arts décoratifs de 1925 pour laquelle il réalise les cartons des vitraux du pavillon des Galeries Lafayette. En résonance avec l’esprit de son temps, l’artiste va également appliquer son art de la laque à des éléments mobiliers, dans un style très moderniste. Expositions et Salons se succèdent avec un succès jamais démenti.
En 1930, il remporte le grand prix du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, puis une médaille d’or à l’Exposition Coloniale Internationale de Paris en 1931 pour sa décoration en panneaux de laque du pavillon de l’Afrique Équatoriale française et certains éléments intérieurs du temple d’Angkor Vat reconstitué en bord de Seine pour l’occasion. L’artiste obtient également et en 1936 le Prix Puvis de Chavanne avant d’obtenir une réelle reconnaissance internationale avec sa médaille d’or à l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937 à Paris, pour la décoration monumentale de la salle de réception du Palais de Tokyo avec des panneaux de laque cellulosique à la poudre de bronze.
A nouveau mobilisé durant la Guerre, fait prisonnier puis évadé, Gaston Suisse rejoint tant bien que mal Paris et la zone libre pour y reprendre ses activités. Il y fait la rencontre de sa femme Giselle, qui ne le quittera plus tandis que les expositions reprennent avec succès dans l’après-guerre. Fidèle à lui-même, Gaston Suisse continue son travail en autarcie et s’investit totalement dans son art, partageant son temps entre l’étude des animaux et ses réalisations en laque à l’atelier. Il se contentera dorénavant et quant à la publicité de son œuvre d’exposer dans les Salons dont il est sociétaire, ses laques recueillant toujours un large succès et trouvant systématiquement preneurs.
Gaston Suisse décède le 7 mars 1988 à son domicile parisien. Modeste et discret de caractère, l’artiste n’en a pas moins participé au renouveau des arts décoratifs français du XXe siècle par ses "laques où son invention se déploie magiquement (…) avec un esprit fin avide de découvertes"[3].
[1] Gaston Deyris in Mobilier et Décoration, 1932
[2] celle de la Ville de Paris, en 1914, pour une laque de Chine sur plaquette d'ébonite
[3] Ernest Tisserand à propos de l’artiste in "L’Art Vivant" numéro 20, octobre 1925
Oeuvres de Gaston SUISSE
La maison de ventes aux enchères MILLON vend régulièrement des œuvres de Gaston SUISSE. Florian Douceron, clerc spécialiste du département département Arts Décoratifs du XXe siècle, vous décrypte deux œuvres phare de l'artiste :
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"Chacun de ses portraits d’animaux est non seulement d’une parfaite qualité graphique mais aussi bien inscrit dans le mouvement des années 30. Aucun spécialiste de tel oiseau ou de tel mammifère ne put reprocher la moindre erreur anatomique à Gaston Suisse, tant l’observation du modèle fut précise et le rapport liant l’artiste à l’animal furent proche de la complicité "[1]
Sur un fond de laque gravé de motifs de vagues minimalistes, des poudres d’aluminium savamment disposées viennent simuler les embruns de la houle qui se brise sur les rochers où une laque poudrée modèle de pâles gerbes d’écume. Là est le superbe décor qu’a conçu Gaston Suisse pour le sujet principal de ce panneau : les hirondelles de mer.
Car ce sont bien ces oiseaux baudelairiens, ces Princes des nuées hantant la tempête, qui s’imposent immédiatement à notre regard par leur réalité quasi physique et le contraste que leur plumage dense et clair fait avec le fond sombre et aux motifs plus délayés. La remarquable précision anatomique de l’artiste sert ensuite une composition où les lignes fortes se répondent, entre celles droites et puissantes des hirondelles, et celles plus courbes et douces du décor. Fidèle à son amour pour la faune, Gaston Suisse a représenté ses oiseaux pour leur seule et évidente beauté, loin de toute tension ou brutalité. Le rendu naturaliste des volatiles témoigne de son sens aiguë de l’observation et de l’étude minutieuses que faisait l’artiste de ses sujets comme pour entériner que "l’Art, c’est l’Homme ajouté à la Nature"[2] .
[1] Cécile Ritzenthaler in Christian Eludut : Le monde animal dans l’art décoratif des années 30, Paul Jouve, Gaston Suisse, Editions BGO, juin 2007
[2] Francis Bacon in De historia vitæ et mortis, 1637.
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"Aucun spécialiste de tel oiseau ou de tel mammifère ne put reprocher la moindre erreur anatomique à Gaston Suisse, tant l’observation du modèle fut précise et le rapport liant l’artiste à l’animal furent proche de la complicité "[1]
Sur un fond de laque brun-vert gravé de végétaux exotiques en pourtour d’une eau élégamment traitée à l’or usé, Gaston Suisse figure un couple d’Anhingas.
Ils sont le sujet principal de ce panneau et pour y aboutir l’artiste les a longuement et patiemment étudiés. En attestent de véritables "séries" qui voient l’artiste répéter le motif avec toujours plus d’application dans le naturalisme et de diversité dans les techniques employées.
A la fin de ce processus "d’apprentissage" de son sujet, Gaston Suisse pouvait passer à son medium de prédilection, la laque, art dans lequel c’est justement ce réalisme qui fait son originalité.
L’art de Suisse ne souffre en effet d’aucune interprétation excessive ou simplification formelle : le décor qui accueille son bestiaire est congrue et botaniquement juste, ses animaux également.
Quand bien même l’artiste se plaisait à remettre à l’honneur des espèces inconnues ou rarement représentées, ces derniers tels qu’immortalisés dans la laque sont investis d’une réalité quasi physique que sert une remarquable précision anatomique.
Ce "Couple d’Anhingas" témoigne de cette approche et de cet équilibre qu’a su trouver Gaston Suisse "entre la véracité des proportions et des formes et la libre interprétation qui est le droit et le devoir de l’artiste (…) le conflit entre l’objectivité du scientifique et la sensibilité de l’homme de l’art"[2].